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Est ce que je suis un homme si je ne suis pas reproducteur ?

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Source Le Figaro – 25/01/2025.

RÉCIT – Alors qu’ils ont passé leur vingtaine dans l’insouciance, avec l’idée ancrée mais lointaine qu’ils auraient des enfants, certains hommes voient leur vie bouleversée par un diagnostic d’infertilité qui affecte leur couple.

 Depuis plus d’un an, Benoît tue le temps. Les semaines s’enchaînent, mélancoliques, entre ses journées de travail et des sorties arrosées avec ses collègues pompiers, ponctuées parfois d’aventures sans lendemain. Dans sa vie, tout est parti à vau l’eau après un rendez-vous chez un urologue réputé de Reims et cette phrase prononcée avec un mélange de dédain et d’indifférence : «Vous n’aurez jamais d’enfant». Ce jour-là, Benoît s’est emporté si violemment qu’il a dû être sorti du cabinet, escorte par sa compagne, confuse, qui se répandait en excuses.

C’est en sortant de son service militaire qu’il avait rencontré Émeline*. Leur relation, amoureuse et sereine, devait aboutir le plus naturellement du monde à un projet d’enfant. Après plus d’un an d’essais pourtant, rien ne vient. Madame continue d’avoir ses règles tous les mois, avec à chaque fois une inquiétude un peu plus grande en les voyant venir. Le couple commence à faire des tests de fertilité. Émeline a quelques soucis d’endométriose déjà diagnostiqués depuis un moment. Rien d’insurmontable. Pour Benoît, la phase d’analyse s’avère une torture interminable.

Quatre sessions de recueil de sperme en laboratoire pour quatre spermogrammes aux résultats flous, complétées par une biopsie testiculaire et, enfin, un diagnostic concluant à la stérilité. Plus précisément, une azoospermie, soit l’absence totale de spermatozoïdes. Quelques lignes dans un tableau Excel et tout s’écroule. En l’espace de deux ans, cette anomalie médicale torpille le couple. «Je sentais que ma copine éprouvait de la pitié pour moi, je la rejetais, je devenais méchant», raconte Benoît.

«C’était impensable pour moi de lui imposer ma stérilité. » Perdu, il commence à faire quelques écarts, jusqu’à ce que son couple, comme il l’avait cherché, implose.

«De façon caricaturale, si leur érection va, tout va»

L’histoire de Benoît est celle de nombreux hommes, partis innocemment faire un spermogramme au laboratoire, apprenant une semaine plus tard, à la lecture d’une fiche de résultats d’analyses biologiques, qu’ils ne pourront jamais se reproduire.

Dans les problèmes d’infertilité que rencontrent les couples, 20% sont aujourd’hui imputés aux hommes. Si l’azoospermie est rare, d’autres irrégularités existent. Des spermatozoïdes en trop faible quantité, trop peu mobiles ou difformes peuvent aussi empêcher les chances de procréation.

Généralement, la découverte est aussi inattendue que brutale. «Contrairement aux femmes qui consultent un gynécologue depuis leurs 17 ans, les hommes n’ont aucun suivi régulier», affirme Sabine Roux, urologue à l’hôpital Cochin. «Les femmes connaissent leur cycle et ses éventuelles variations. Les hommes eux n’ont pas de maux de ventre ou des pertes blanches pour leur signaler un bon fonctionnement. De façon caricaturale, si leur érection va, tout va», renchérit la psychothérapeute Valérie Grumelin, spécialiste de l’infertilité. Guillaume, un ingénieur en chimie de 37 ans, se souvient de sa séance de «recueil» dans la cabine d’une clinique illuminée «Il faut faire son affaire dans un gobelet… Ce n’est pas glorieux.» Une épreuve racontée avec dérision par l’humoriste Manu Payet dans son dernier spectacle, qui ; regards terrifiés échangés dans la salle d’attente.

«Je n’étais pas vraiment gaga des enfants des autres, donc je ne me précipitais pas à l’idée d’en faire. Et puis, je me disais que je pourrais me préoccuper de ça jusqu’à 70 ans», raconte Sylvain*, cadre dans le marketing en région parisienne. Façon Jean-Paul Belmondo ou Robert de Niro.

Guillaume et son épouse avaient «déroulé le programme» de façon scolaire : deux. CDI dans l’industrie chimique dans la région de Nancy, l’achat d’une maison sur plan. «Il ne restait plus qu’à la remplir. » Au sein du couple, il n’y avait jamais eu de débat sur les enfants puisque c’était l’évidence même. «On n’était pas d’accord sur le nombre. Mais c’était de l’ordre du détail», raconte Guillaume, pour qui ces discussions badines entre amants semblent désormais bien lointaines.

Une profonde atteinte à la virilité.

Au-delà de questionnements existentiels soudains qui ébranlent le couple et sa vision de l’avenir, l’atteinte à la virilité est souvent décrite comme immense. «Qu’est ce qui fait de nous un homme si on n’est pas un reproducteur, qu’on n’est pas capable de procréer ?», interroge Guillaume, ayant entamé des démarches de PMA avec son épouse. «Dans mon cas, il y a un des paramètres des spermatozoïdes qui déconne certes, mais ma femme a aussi des problèmes hormonaux. Le fait de n’être pas le seul responsable et qu’une partie de ma semence soit viable fait toute la différence sur le plan psychologique. » En somme, contrairement à Benoît, il n’a pas l’humiliation ultime de «tirer à blanc». Ou d’avoir dû «fermer l’usine», une expression souvent entendue par les thérapeutes. «Les hommes dans cette situation se sentent comme annulés», observe Valérie Grumelin.

La sexualité du couple sort d’ailleurs rarement indemne de cette épreuve ajoute la psychothérapeute Déborah Schouhmann : «Même si tout est comme avant, il y a souvent une baisse drastique des relations intimes. Pourquoi avoir un rapport puisque ça ne marche pas ?» En plus de cette impuissance, certains hommes doivent subir la colère de leur femme, exprimant, dans des termes plus ou moins délicats l’idée suivante: «tu ne sers à rien». «J’ai souvent vu des hommes accepter ces paroles comme une punition alors que c’est absolument intolérable», affirme Déborah Schouhmann.

Vacances et vie professionnelle entravées.

Sur le plan intime, la tâche se complique encore quand le couple s’engage dans la procréation médicalement assistée. « Tout est hyper contrôlé : il ne faut surtout pas que ma compagne attrape une mycose ou une MST alors qu’elle fait régulièrement des ponctions et des FIV. Si on lui détecte un problème, je suis presque accusé d’être allé voir ailleurs..», détaille Sylvain*. Il liste ses autres ennuis au quotidien : «Nous qui avions l’habitude de voyager, on ne part plus tellement en vacances. Il est interdit à ma compagne de se rendre dans les zones de circulation du moustique Zika (NDLR, plusieurs pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine). Elle ne peut pas non plus espérer évoluer professionnellement étant donné l’investissement que lui demandent ses rendez-vous médicaux hebdomadaires. » Elle et Sylvain ont radicalement changé au cours de cette expérience. Récemment, elle lui a dit qu’elle ne serait plus jamais la même, «cette fille marrante et gaie» qu’il avait rencontrée à la trentaine. 

Il n’y a pas d’interrupteur qui permette de se remettre dans l’état antérieur. On a projeté notre vie autour des enfants, quand ça ne fonctionne pas, il faut tout déconstruire.

 II n’est pas rare d’ailleurs que les activités extraprofessionnelles et sorties entre amis se tassent, trop douloureuses, puisqu’il y est toujours question d’enfants à un moment ou un autre. Guillaume se souvient avec amertume de ce vieux copain qui avait eu l’idée de filmer l’annonce de la grossesse de sa femme à sa bande. Sur les images, Guillaume est figé. Le happening a tourné à l’explication. «Je ne peux plus avoir d’empathie sur ce sujet, je ne vibre plus au même rythme que les autres», décrit-il. Il faut composer avec un décalage : «Ça avance pour les autres, pas pour nous».

Quand l’un de ses amis disserte sur l’arrivée du deuxième, qui se fait attendre, Guillaume écoute d’une oreille. Et avec d’autres, «j’ai carrément opté pour une stratégie de l’évitement».

Si extérieurement, rien n’a changé dans la vie du couple, l’infertilité n’étant ni une maladie, ni un handicap, on pourrait imaginer qu’une fois le coup accusé, la vie se poursuive. Ce n’est jamais le cas. «Il n’y a pas d’interrupteur qui permette de se remettre dans l’état antérieur. On a projeté notre vie autour des enfants, quand ça ne fonctionne pas, il faut tout déconstruire», explique Déborah Schouhmann. «Cet enfant absent, c’est l’éléphant au milieu de la pièce.»

Des mesures préventives, dès l’âge de 20 ans?

Pour prévenir ces problèmes et l’entrée tardive dans une PMA, dont les chances de réussites ne feront que baisser les années passant, certaines préconisations émergent. Dans le «grand plan contre l’infertilité» qu’Emmanuel Macron avait proposé en janvier 2024, figurait un bilan de fertilité, proposé dès 20 ans, et remboursé par la Sécurité sociale. Une mesure que les hommes que nous avons interrogés trouvent salutaire. «On apprend l’importance de l’hygiène aux enfants avec le brossage de dents, on fait des campagnes contre l’alcool au volant… il faudrait parler de la fertilité au même titre», estime Guillaume, qui assure qu’il se serait lancé plus tôt que 32 ans, s’il avait su que les risques existaient.

Pour Sabine Roux, le bilan de fertilité précoce n’est pas une solution miracle. «On ne peut pas envoyer tout le monde en PMA, sous prétexte qu’une anomalie est détectée… Le couple peut peut-être concevoir naturellement malgré cela. » Il présente aussi l’inconvénient d’être très anxiogène pour des jeunes qui n’ont pas encore de relation stable mais déjà conscience qu’ils rencontreront des difficultés. Pour elle, au-delà du traitement médical (recadrage de l’hygiène de vie, traitement hormonal voire opération dans le cas d’une varicocelle, la dilatation d’une veine spermatique), ce qu’il faut marteler aux hommes en souffrance, c’est qu’ils ne sont pas seuls. «Comme généralement, ils n’en parlent pas à leurs amis, ils croient être un cas unique. Mais ce n’est pas le cas. » Un argument qui ne suffira pas à apaiser les tourments de Sylvain, dont la compagne va entamer cette année des démarches de PMA en Espagne après une succession d’échecs en France. Ces derniers temps, il fait un rêve récurrent :

«Qu’on aille chercher un enfant dans un distributeur pour que ça s’arrête». 

*les prénoms ont été modifiés.